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Les peintres témoins de leur temps - PINACOTHÈQUE DE PARIS

Dans un essai introductif remarquable, Marc Restellini, directeur de la Pinacothèque de Paris, s'interroge sur le rôle de l'artiste dans la reproduction de la réalité de son époque. A travers une triple exposition consacrée chronologiquement à la dynastie Brueghel (15ème et 16ème siècle), à Francisco de Goya (1746-1828) et à Chu Teh-Chun (né en 1920), sa réflexion traverse 600 ans d'histoire de l'art et s'arrête sur trois périodes particulièrement marquantes. Son objectif : rappeler au visiteur du 21ème siècle qu'avant l’avènement de la photographie, le peintre était le témoin visuel de son époque. Les évolutions technologiques actuelles, rendant l'immortalisation de son environnement accessible à tout un chacun, ont tendance à nous faire oublier le rôle fondamental de l'artiste. Sans en être totalement conscient, le peintre était le garant d'une mémoire visuelle. Dans cette trilogie, nous découvrons tout d'abord avec la dynastie Brueghel comment un peintre immortalise son quotidien. Ensuite, avec Francisco de Goya nous voyons comment il le dénonce. Enfin, avec Chu Teh-Chun nous examinons comment il capte son essence sensationnelle.


LA DYNASTIE BRUEGHEL ☆☆☆☆☆

PRÉSENTATION : L'exposition présente le travail de peintres flamands issus de la même lignée, les Brueghel. Pendant trois générations, du début du 15ème siècle jusqu'à la fin du 16ème, plusieurs membres de cette famille vont mettre en peinture les éléments les plus symptomatiques des coutumes et du mode de vie quotidien des habitants de leur région (Flandres et Nord de l'Europe).

AVIS : Sublime ! Ce coup de pinceau intergénérationnel laisse une trace esthétiquement et anthropologiquement fascinante. Tout commence avec Pieter Brueghel dit l'Ancien, le Rustique ou le Drôle (1525-1569), considéré comme fondateur de la dynastie. Avec lui et ses suiveurs, pour la première fois, « le monde rural devient le sujet de la peinture ». On voit apparaître au centre des toiles les paysans, travaillant, festoyant, chassant.... Le visiteur est bluffé par la minutie du détail et la puissance narrative de ces oeuvres. De plus, ces peintres vont élaborer « une réflexion innovante autour de l'Homme et sa place dans la nature ». En effet, les Brueghel mettent fin aux paysages révélant une humanité héroïsée (comme ce fut le cas dans la peinture italienne de cette époque) pour, notamment sous l'influence de la Réforme protestante, réduire l'Homme à ses humbles proportions face à la nature, immense création divine. Je retiendrais tout particulièrement les paysages de Jan Brueghel dit de Velours dont les panoramas sont d'une beauté émotionnelle et esthétique époustouflante.

INFOS PRATIQUES : « La dynastie Brueghel » - Pinacothèque de Paris – 8, Rue Vignon, 75009 Paris - Tous les jours de 10h30 à 18h30 avec nocturnes jusqu'à 21h les mercredis et vendredis - Plein tarif : 12,30 € / Tarif réduit : 10,30 € / Tarif 3 expos : 18€ ou 15€ - jusqu’au 16 mars 2014


GOYA ET LA MODERNITÉ ☆☆

PRÉSENTATION : L'exposition propose d'explorer l'ambivalence de l’œuvre de Francisco de Goya (1746-1828), peintre et graveur espagnol. En rappelant son passé glorieux d'artiste phare et adulé de la cour d'Espagne, l'exposition présente en même temps l'intégralité de ses séries de gravures, manifestations de son indignation contre certaines atrocités de son temps, qui furent censurées par les autorités et découvertes après la mort de l'artiste.

AVIS : Intéressant mais décevant. Goya est pris entre deux réalités : le faste débordant de l'élite pour laquelle il travaille et la décrépitude des masses contre laquelle il s'insurge. Pour être le témoin de son temps, il doit cultiver un dédoublement de personnalité. Ainsi, tout en réalisant de grands portraits officiels de style classique, il dénoncera à travers ses séries de gravures, avec crudité et pathos, dans un langage plus personnel, les dérives de la société espagnole de son temps telles que les excès de l’Église (« Caprices » 1799) et les horreurs de la guerre d'Indépendance contre les armées napoléoniennes (« Les désastres de la guerre » 1808). Ainsi, alors que la Dynastie des Brueghel innovait en illustrant, Goya franchit un nouveau cap, il s'engage et par la même, introduit selon les historiens d'art la notion de romantisme dans l'art occidental.

D'autre part, l'exposition, contrairement à ce qui est vendu par la Pinacothèque, n'a pas l'acabit d'une rétrospective. Elle ne retrace pas avec exhaustivité le parcours artistique de Francisco de Goya. De plus, et voici une observation personnelle, la lecture des gravures accrochées aux murs d'exposition reste difficile. Théâtralisant une succession de scènes en petits formats, j'aurais certainement éprouvé plus de plaisir à les découvrir tranquillement dans un catalogue contenant les originaux. Ceci est bien entendu impossible mais reste tout de même la problématique suivante : comment optimiser le plaisir de lecture d’œuvres de petits formats dans un musée ?

INFOS PRATIQUES : « La dynastie Brueghel » - Pinacothèque de Paris – 28, Place de la Madeleine, 75008 Paris - Tous les jours de 10h30 à 18h30 avec nocturnes jusqu'à 21h les mercredis et vendredis - Plein tarif : 12,30 € / Tarif réduit : 10,30 € / Tarif 3 expos : 18€ ou 15€ - jusqu’au 16 mars 2014


CHU TEH-CHUN ☆☆☆☆

PRÉSENTATION : L'exposition présente un ensemble de toiles de l'artiste chinois Chu Teh-Chu (né en 1920). Mélange de la culture orientale et occidentale, ses toiles abstraites incarnent la nouvelle mission de l'artiste peintre à l'âge moderne : immortaliser la sensation d'une réalité.

AVIS : Superbe ! Chu Teh-Chun est, dans la trilogie de la Pinacothèque de Paris, l'incarnation de la nouvelle problématique à laquelle doivent faire face les artistes du 20ème siècle : que devient le rôle du peintre quand la technologie se développant (photographie et vidéos) tout un chacun peut immortaliser sa réalité ? La solution : le peintre doit se renouveler, réinventer la manière dont il témoigne de son temps. Ainsi, finie la figuration, place à l'abstraction. Le concept : l'artiste ne représente plus ce qu'il voit mais ce qu'il ressent. Il va offrir sa propre vision et perception de la réalité. « La photographie le libère du sujet et l'artiste peut donner libre cous à son imagination ».

L'abstraction de Chu Teh-Chun est envoûtante, poétique et sensible, elle entremêle couleurs et mouvements en offrant une transcription subjective et lumineuse de la nature. Le jeu : déceler un univers perceptible dans ces peintures arc-en-ciel et enivrantes, dans lesquelles l'exploration prolongée se transforme en noyade. Tel un brouillard limpide, elle capte le regard et l'absorbe. Est-ce parce que dans un monde de plus en plus technologique, la réalité concrète part en fumée ?

INFOS PRATIQUES : « La dynastie Brueghel » - Pinacothèque de Paris – 8, Rue Vignon, 75009 Paris - Tous les jours de 10h30 à 18h30 avec nocturnes jusqu'à 21h les mercredis et vendredis - Plein tarif : 8,20 € / Tarif réduit : 6,20 € / Tarif 3 expos : 18€ ou 15€ - jusqu’au 16 mars 2014

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